Black Mirror est une série importante pour le genre de l’anthologie, notamment sur les questions technologies. Mais quel est le regard porté par la série sur le monde et quel est son message ?
Ce texte est en fait une dissertation écrite dans le cadre du contrôle continu du cours Médias et culture populaire de Wald Lasowski en troisième année de licence Médias, culture et communication à l’Université Catholique de Lille.
Black Mirror : une série appartenant à la culture populaire
La série Black Mirror, au début à la télévision et aujourd’hui produite par Netflix, est connue à travers le monde. Tant et si bien qu’on la compare quasiment systématiquement à toute oeuvre culturelle d’anthologie mais aussi aux innovations technologiques et sociétales abordées de près ou de loin par la série. C’est le cas du « score social » en Chine où les citoyens sont notés en fonction de leurs agissements : en cas de mauvais « score », on peut leur refuser l’accès au train, au cinéma, etc. Ce système est souvent comparé à celui en place dans le célèbre épisode Nosedive où la note d’une personne sur un réseau social hégémonique (presque étatique) influe sur sa vie (personnelle, professionnelle…). Ces comparaisons quasiment systématiques : « C’est comme dans Black Mirror » peuvent même être aujourd’hui considérées par certains comme une marque de paresse voire d’absence intellectuelle. Il n’y a pas de doute : Black Mirror porte bien un regard sur notre société, puisque cette dernière réagit à la série. Bien qu’elle soit forte intéressante, la série appartient à la culture populaire. Cette culture vivante évolue constamment et est destinée, ouverte à tous. Elle est d’ailleurs très souvent opposée à la « culture savante » dans les Cultural Studies ; elle serait réservée à une élite et ne serait accessible à tous. C’est notamment cette opposition qu’étudiait Bourdieu dans les années 50 dans son ouvrage La Distinction et plus particulièrement dans le texte Le goût pur et le goût barbare. Une partie important de cette culture populaire peut d’ailleurs être associée à la « culture de masse » telle que l’entendait Theodor Adorno (Ecole de Francfort) dans Kulturindustrie : tournée vers la diffusion de masse pour maximiser les profits notamment en ayant la capacité de plaire à tout le monde. C’est ce qu’on peut appeler aujourd’hui la « culture mainstream ».
Black Mirror appartient donc à la culture populaire et porte un fort regard sur le monde, mais quel est-il et quelles sont les valeurs, le message transmis par cette série ?
Dans un premier temps, nous verrons quelle est l’histoire de la série et son impact culturel. Dans un second temps, nous verrons au travers de deux épisodes quel est le message transmis par Black Mirror.
L’histoire et l’impact de Black Mirror
La série télévisée Black Mirror a été créée par le britannique Charlie Brooker : sa première saison a été diffusée en 2011 sur Channel 4, chaîne britannique à l’époque. Avant cette série, Charlie Brooker réalisait des chroniques à la télévision à propos de la télévision : il était connu pour son humour, sa réflexion et une certaine forme d’irrévérence ironique. Black Mirror n’est cependant pas sa première série audiovisuelle : il avait déjà créé Dead Set quelques années auparavant : elle parlait aussi du média sur lequel elle était diffusée : la télévision.
Black Mirror a par la suite été diffusée partout dans le monde, notamment sur France 4 en France à partir de 2014. Mais en 2015, Netflix acquiert les droits de la série et commence à produire une nouvelle saison, qui verra le jour en 2016. Il y a là d’ailleurs un paradoxe dans la stratégie éditoriale de Netflix : Black Mirror traite et traitera la question des plates-formes en ligne et notamment des services de streaming comme Netflix. Cela n’empêche pas la série de compter cinq saisons à l’heure actuelle. Elle a également été déclinée dans le film Bandersnatch, traitant là aussi d’une évolution de société par l’innovation technologique. Mais là aussi, Black Mirror surprend : ce film est interactif ; à certains moments le téléspectateur doit faire un choix qui va influencer le déroulement et la fin du film.
Il n’y a pas de chiffres d’audiences, encore moins sur sa diffusion sur Netflix, ce dernier n’ayant pas pour habitude de les dévoiler. Mais ce qu’on sait c’est que la série a reçu globalement un très bon accueil pour la qualité des scénarios, du concept, des retournements de situation et des chocs que certains ont pris. Curieusement, en 2012 en Chine Black Mirror a été la série la plus commentée avec des retours positifs.
Comprendre le message de la série avec les exemples de deux épisodes sur la télévision
Black Mirror est donc une série d’anthologie, inspirée de The Twilight Zone dans les années 60. Chaque saison comporte une poignée d’épisodes tous indépendants. Le titre de la série veut littéralement dire en français « Miroir noir » : cela évoque un écran éteint, qui s’éteint pour laisser place à un reflet noir. Cet écran peut refléter notre visage, noirci, lorsqu’il s’éteint lorsqu’on vient de regarder un épisode de la série par exemple. Black Mirror s’interroge principalement sur l’évolution de la société en présence d’une technologie, parfois d’un système dystopique.
Pour comprendre le message porté par la série, nous allons traiter de deux épisodes, produits par Channel 4, qui ont pour thématique la télévision. Ce n’est pas en rapport avec une technologie futuriste mais ces épisodes poussent à l’extrême un problème de société contemporain en rapport avec ce média ; c’est d’ailleurs une thématique chère à Charlie Brooker, le créateur de la série.
Le premier épisode s’intitule 15 millions de mérites, il fait partie de la première saison et est souvent considéré comme l’un des meilleurs épisodes de la série. Dans celui-ci donc, les citoyens vivent dans un monde fermé, en sous-sol sans voir la lumière du jour, éclairés uniquement par des écrans interactifs. La monnaie est le mérite, le M. Elle est obligatoire pour consommer et est « récoltable » en pédalant sur des sortes de vélos d’appartement, qui alimentent sans doute le réseau électrique. Toute la journée les gens pédalent, sans réelle interaction sociale et pour s’occuper jouent à des jeux vidéo ou regardent la télévision avec des émissions « abrutissantes ». Parmi elles : Hot Shot, basée sur le modèle d’America’s Got Talent : pour y participer, il faut dépenser 15 millions de mérites, l’équivalent de six mois de travail. Bing, personnage principal de l’épisode, décide d’y participer, cache un morceau de verre cassé sur un écran et menace de se suicider sur scène en direct. Il fait alors un discours sur ce système aliénant, expliquant pourquoi il faudrait changer, etc. Au lieu d’être renvoyé ou laissé au suicide, le jury lui propose de faire une émission dans laquelle il pourrait déclamer des discours comme celui-ci, ce qui lui éviterait d’avoir à pédaler pour le reste de sa vie. Bing se voit alors dans l’obligation de tordre sa volonté politique pour obéir encore une fois à ce système, représenté ici par la télévision. Black Mirror a pour message ici de ne pas tordre ses volontés, ses valeurs lorsqu’on veut changer la société, en obéissant au système dominant lorsque ce dernier nous accorde plus de pouvoir.
Le deuxième épisode abordé se nomme Le Show de Waldo, il fait partie de la deuxième saison. Dans cet épisode, un comédien incarne Waldo, un petit ours bleu à l’humour noir et au ton sarcastique ; il anime une chronique dans un talk-show à la télévision dans laquelle il se moque des personnalités politiques. Pour aller plus loin, les producteurs décident de le faire se présenter à une élection locale, ce qui n’enchante pas le comédien. Waldo va alors prendre toute la place dans la campagne et notamment dans les débats politiques entre candidats, les disqualifiant sur leur personne et non leur programme sur fond d’insultes, appelant même les téléspectateurs à attaquer ses détracteurs et notamment ses concurrents. La série dénonce alors les personnes qui viennent parasiter les débats politiques, notamment et surtout les médias, comme la télévision qui sont à la recherche de sensationnalisme pour maximiser l’audimat et donc les recettes publicitaires.
Black Mirror : une recette qui fonctionne
Black Mirror montre que malgré des systèmes politiques, médiatiques, sociétaux… et/ou des technologies dystopiques, la place de l’humain est et sera toujours la plus importante : il faut veiller à garder des valeurs humanistes en toutes circonstances. La série porte donc un regard volontairement inquiet sur l’évolution de la société, notre époque, notre civilisation. Son but est de faire un parallèle avec des systèmes et des technologies contemporains en les poussant à l’extrême pour justement prendre le temps et faire prendre conscience de ces problèmes contemporains et y réfléchir.
Cette recette fonctionne très bien sur moi, elle m’a fait réfléchir et me fera réfléchir sur mon utilisation des nouvelles technologies mais a aussi amélioré je pense mon esprit critique par rapport à la société.
Black Mirror est sans concessions, ou presque. Fin 2020 sortait un faux documentaire sur l’année 2020 : Mort à 2020, créé par Charlie Brooker. Bien qu’il ne soit pas affilié à la série, ce documentaire reprend les codes dystopiques de la série mais cette fois avec des personnages stéréotypés. Certains évoquent les stratégies de Netflix pour rendre la plate-forme addictive, alors même que le documentaire est produit par Netflix. Mais ce qui est dénoncé est en fait assez connu voire superficiel : la quantité de contenus qui fait qu’on passe énormément de temps à ne pas savoir choisir ou le fait que les épisodes s’enchaînent. Mais n’en déplaise à Charlie Brooker, ces éléments sont très connus et même parfois utilisés par Netflix dans sa communication. Charlie Brooker aurait-il tordu ses volontés artistiques et ses valeurs humanistes en créant Mort à 2020 ?