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Taedium : la relation de SEB avec Internet

Le 31 janvier, le clip de Taedium, un morceau de rap de SEB est sorti. Il interroge les internautes sur leur relation avec Internet, qu’ils soient influenceurs ou non. Analysons ensemble le clip ainsi que les paroles du morceau et sur ce qu’ils disent du web actuel.

Taedium vitae, un concept philosophique

Tout d’abord, parlons du titre du morceau, qui veut en lui-même beaucoup dire sur la démarche artistique de SEB. Taedium vitae est un concept philosophique renvoyant à un certain dégoût ou fatigue de la vie. La première personne à en avoir parlé est le philosophe Sénèque. S’il n’y a pas de traduction française précise, on peut tout de même dire que cela renvoie à un ennui existentiel, un malaise fondamental. Cela ne provient pas d’une réelle pathologie reconnue, ni d’aucune autre affection précise. Sénèque en parle comme un « tourbillonnement d’une âme qui ne se fixe nulle part, et cette résignation morose et douloureuse […] ; tenus étroitement enfermés, les désirs, faute d’issue, s’asphyxient d’eux-mêmes ; viennent alors la mélancolie, l’abattement et les innombrables flottements d’un esprit irrésolu ».

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Analyse des paroles de Taedium

Nous allons analyser les paroles du morceau de SEB et essayer de les comprendre et de les mettre en contexte. Toutes les analyses qui seront faites dans cet article sont miennes, j’essaie de faire en sorte qu’elles reflètent au mieux la vision de l’artiste, mais ce ne sera pas forcément le cas. Premières lignes de Taedium :

« Salut, c’est SEB et ses valises, j’reviens du web et ses malices
J’reviens du fond, j’suis la lumière dans les abysses, hey »

Au début du morceau, SEB se met en position où il revient d’un voyage, un voyage dans le web (avec ses valises). Il se dit lumière dans les abysses, tel un poisson abyssal qui produit de la bioluminescence, un monstre sous-marin. Un monstre pourtant au-dessus des autres, puisqu’il est lumière. 

« J’ai l’numéro de tout YouTube mais j’follow pas les fils de pute
C’était mon indice, laissez-moi diss avant d’disparaître
J’côtoie les plus sains d’internet, merci »

L’indice dont il parle est qu’on ne retrouve par les gens qu’il qualifie de « fils de pute ». Il dit vouloir « diss », ce qui veut dire « diss track », faire une chanson pour attaquer une personne ou un groupe de personnes, le tout avant de s’en aller, s’en aller d’Internet peut-être. Il est tout de même heureux d’être avec les personnes qu’ils considère comme saines. Il introduit donc sa vision binaire de YouTube et plus largement du web.

« J’te connais pas, t’es son « plus un », me parlez pas ce sera plus simple »

Là, il parle à un abonné, qu’il ne connaît pas (c’est normal), à qui il ne veut pas parler, la célébrité est quelque chose avec laquelle il est mal à l’aise, d’autant qu’il l’a acquise très jeune. Le terme « plus un » renvoie probablement au fait que sur Internet plus que partout ailleurs, on peut passer d’une personne à une autre, d’un profil à l’autre, de façon instantanée, notamment sur les applications de rencontre comme Tinder.

« J’dis ça pour ceux qui nous fantasment, j’ai peur pour ceux qui nous remplacent
J’ai grandi trop tôt, j’ai mûri vite, j’avais pas l’âge de péter »

Il veut prévenir les influenceurs et ceux qui veulent le devenir des différents dangers, du fait que ce n’est pas si simple. C’est même pour lui une peur, que des gens soient fans de lui au point de lui ressembler. Il les prévient du fait de mûrir très vite, il utilise l’expression « trop tôt », comme s’il avait raté une partie de sa jeunesse sur le web.

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« Mais cette merde d’http m’a permis d’acheter des paires, hey
J’étais perdu mais j’aimais, vous avez planté Gmail
J’me souviens juste que jamais j’ai voulu faire ça pour ger-man, c’est gênant »

Pour nuancer son propos (encore sa vision binaire), il parle des avantages à être « connu » sur Internet et parle de son rapport à la célébrité inattendue pour lui.

« Le web m’a fait mais le web me dégoûte, je l’aime mais j’le hais depuis qu’on m’écoute (nan) »

La vision dualiste sur le fait que le web soit bon et mauvais à la fois. Un paradoxe dans lequel il se retrouve piégé, dans une taedium vitae.

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« Ton moment de gloire c’est des RT, quand t’en parles, on peut voir la fierté
T’as l’CV d’un raté, succès inventé, pas d’quoi s’en vanter »

C’est là que les attaques commencent. Il décrédibilise les personnes qui connaissaient du succès sur Twitter, plate-forme où il est très facile d’obtenir énormément de réactions. Pour lui, cela ne vaut rien, à part le « CV d’un raté », il n’y pas de quoi se vanter.

« Les blogueurs sont des gens ridicules, ils croient en leur mode de vie nul
Tu n’influences que ton nombril, le nombre de follow veut rien dire
J’m’en bas les couilles de ton lifestyle, quelle importance a ton Insta’ ? »

Il continue ensuite sur les blogueurs et instagrameurs, qui pour lui ont un mode de vie nul, qu’ils sont égocentriques et que leur succès ne repose sur pas grand chose. Il enchaîne par « Mon arrogance me rend instable », en effet il critique un monde dont il fait lui-même partie, piégé entre deux avis. Voici la fin du premier couplet :

« Les réseaux sont pourris par l’ego, tout l’monde s’en branle de ta sous-vie
Me fais pas croire que t’as confiance en toi quand tu mets des photos de ton sourire
C’est ça qui t’assouvit, c’est pas ça qui va t’sauver, t’es bon à rien si tu crois qu’l’influence est un sommet »

Pour lui, les influenceurs ne sont pas qu’égocentriques, ils ont aussi peu confiance en eux derrière leur visage de façade s’exprimant sur les photos qu’ils postent (et donc qu’ils contrôlent). Leurs envies de reconnaissance sont assouvies par les likes, mais SEB les prévient que cela ne les sauvera pas et qu’au final, ça n’a pas vraiment d’importance. Une sorte d’hypocrisie que dénonçait Nekfeu dans son morceau Réalité augmentée.

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Voici le début du second couplet :

« Eh
Et c’est ces mêmes gens qui te motivent (hey), blabla de merde pour émotifs (hey)
Ils feraient tout pour des notifs (hey), d’ailleurs, c’est pas eux les fautifs (hey)
Le manque d’attention fait des ravages (hey), t’es perdu, t’as envie d’exister (hey) »

il enchaîne donc le second couplet avec ce même thème, en le précisant. Les personnes en manque d’attention sont pour la plupart plutôt émotives, et sont prêtes à tout pour des notifications : likes, commentaires, abonnements, etc. Mais il nuance encore son propos en disant que ce ne sont pas eux les fautifs, mais qu’ils sont simplement des gens perdus qui souhaitent avoir de l’attention.

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« Appartenir à un groupe c’est pas que tweeter ton avis d’assisté
Donc pourquoi tu t’affiches ? Et pourquoi tu t’affirmes ? (ouais)
Pour gonfler ton ego ou pour gonfler tes chiffres ? (ouf) »

Il revient sur les membres de Twitter, qui peuvent connaître du succès rapidement. Dans cet extrait, il aborde la notion de communautés sur Internet ; pour lui, donner son avis ne veut pas forcément dire qu’on est conscient de ce que l’on dit. En effet, s’il parle d' »avis d’assisté », c’est peut-être parce que certains influenceurs vont donner un message qui sera relayé par leur communauté. Le fait de relayer ces messages permettra aux personnes qui les relaient d’avoir une certaine reconnaissance de la communauté, ce qui gonflera son ego, et ses chiffres.

« J’ai pas parlé des YouTubers, vous donnez d’la force aux teubés
Il ferait même pas rire un Uber, contenu de masse pour entuber
J’suis l’mieux placé pour en parler, tu vas faire quoi à part râler ?
De surcroît, j’en fais partie, clique sur croix c’est la sortie »

SEB parle des youtubers, notamment ceux qui n’ont pas de talent pour lui, qui en sont pas drôle et qui font du contenu de masse, afin d’attirer le plus de viewers possible. Pourtant, il est tellement bien placé pour en parler qu’il devient cible de sa propre critique, puisque le contenu qu’il fait peut être considéré comme du contenu de masse. Cela reflète la vision de Joueur du Grenier dans sa fameuse vidéo « YouTube m’ennuie ». Sa solution : arrêter de regarder ses vidéos en cliquant sur la croix.

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« J’suis d’moins en moins sur les réseaux, j’vous aimais bien, ouais, j’suis déso’
En vrai, j’ai l’cerveau qui résonne, j’sais plus à qui donner raison »

Encore le paradoxe, si les réseaux sociaux le font vivre et font partie intégrale de sa vie, il y passe de moins en moins de temps, il en devient même désolé par rapport à ses abonnés et aux personnes qui le suivent. Il se sent perdu, seul, victime de taedium vitae. Une solitude également évoquée dans l’album Les Étoiles Vagabondes de Nekfeu.

« Oublie pas qu’le web est un mini-monde, ton buzz a pété comme mini bombe »

Il rappelle ici que le web est petit, se souvient de tout, notamment des buzz. Ces buzz sont par ailleurs comme une bombe, intense mais brefs. Un succès très rapide qui a pour conséquences de nombreux maux, comme le chante Angèle.

« T’es quelqu’un dans ton coin donc personne à temps plein (hey)
Twittos deviennent ceux dont ils s’moquent (hey)
Second degré devient Death Note (hey)
Laisser respirer les gens, chaud, ça n’fait qu’empirer les choses »

Sur les réseaux sociaux comme dans la vraie vie, à notre époque beaucoup sont seuls, même s’ils sont influenceurs ils restent « personne à temps plein ». Les « twittos » se moquent d’autres membres de Twitter plus connus qu’eux, pour susciter leur réactions, alors que ces mêmes membres ont fait exactement la même chose pour devenir « connus » sur la plate-forme. Pour attaquer, ils utilisent le second degré, une arme redoutable et pourtant une solution de facilité, à l’image du Death Note. Les « twittos » ne laissent pas respirer les gens, tweetant le plus possible pour avoir des tweets à succès en réagissant à des sujets brûlants. Pour SEB, ce n’est pas sain, ça ne fait qu’empirer les choses.

« Les rappeurs deviennent influenceurs, toi, tu t’étonnes de l’inverse, hmm »

Les rappeurs sont des personnalités, et elles communiquent beaucoup, y compris sur les réseaux sociaux et parfois sans filtre, ce qui peut faire d’eux des influenceurs (ils ont généralement beaucoup d’abonnés). Pour autant, les influenceurs peuvent devenir rappeurs. D’ailleurs, certains se prêtent vraiment au jeu, comme Kikesa avec son concept Dimanche De Hippie. C’est ce que fait SEB dans sa démarche avec Taedium, « techniquement irréprochable » ou encore avec ses autres morceaux déjà sortis. D’autres comme Squeezie signent eux aussi en maison de disques et commencent à sortir des singles, comme Influenceurs. Celui qui a réussi la transition avec brio est sans aucun doute Mister V, qui se construit une carrière de rappeur, notamment avec MVP, son deuxième album qui vient de sortir. Voici la fin du second couplet de Taedium :

« J’déteste et j’aime ce web, mais comme une ex que t’aimes encore
Comment ne pas déraper ? Trentenaire de YouTube, comédien raté
C’est ça qui m’a fait, pour ça que j’m’assume, c’est vrai qu’il me sert, c’est
Ça qui me rassure certes mais ce qui est sûr : non, j’ai pas l’temps pour regretter, j’en ai déjà pour en gratter
J’aime tout ces gens qui m’ont grimpé mais j’suis trop jeune pour ce rrain-te
Niquez vos mères, j’vais siroter, tu peux cracher sur moi, j’vais m’faire un thé »

Toujours bloqué dans sa vision binaire du web, il fait la comparaison avec une ex. Il essaie de ne pas déraper dans cette triste vie, mais le fait presque, notamment en disant « Trentenaire de YouTube, comédien raté ». Il cible peu-être quelqu’un en particulier, mais plus globalement dit que les comédiens ratés deviennent youtubers, métier qu’il n’affecte pas particulièrement. Pour autant, il sait que le web lui a permis de devenir qui il est aujourd’hui, il n’oublie pas ses origines. Cependant, il se trouve trop jeune pour ce succès et veut seulement « siroter », profiter de la vie tout en ne prenant pas en compte les avis négatifs. Voici maintenant l’outro du morceau :

« Internet (Internet) J’sais plus quoi dire, j’suis pas déçu

Je te mets quand j’suis en lieu sûr Internet (Internet) J’sais plus quoi dire j’suis pas déçu Je te mets quand j’suis en lieu sûr

Mais j’partirai pas, ouais, j’lui dois tout, ses défauts sont devenus mes atouts Merci à lui, merci à vous

Adieu la frite, bonjour à nous

S.E.B »

La fin du morceau Taedium arrive, SEB sèche, mais n’est pas déçu. Pour lui, Internet peut être mauvais mais reste un refuge dans lequel il se sent bien et n’hésite pas à le remercier pour tout ce qu’il a pu lui apporter. Il fait d’ailleurs le deuil de son ancien pseudonyme « Seb la Frite », pour garder S.E.B..

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Analyse du clip de SEB

Je trouvais également très intéressant d’analyser le clip de Taedium, qui possède une vraie âme, une vraie direction artistique, le tout sous le joug de David Tomaszewski, le réalisateur. Tout d’abord, le décor est une jungle qui représente le web, puisqu’on y retrouve des pouces, des cœurs, un oiseau bleu, des sneakers ; ce sont les métaphores respectives des likes, de Twitter et des placements de produit/du matérialisme. On y retrouve aussi des oranges ayant des expressions faciales, elles représentent des emojis et plus particulièrement les interactions sur les réseaux sociaux et même les réseaux sociaux en eux-même. Dans ce clip, on voit donc SEB marcher à travers cette jungle et il récolte des oranges sur son chemin. Il est tout de noir vêtu, histoire de ne pas se démarquer dans ce monde, ce qui reflète sa personnalité ou une personne lambda.

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Ensuite, il va donner ces oranges à des personnes qu’il croise, il y a des instragrameuses, influenceuses beautés, une femme nue, des influenceurs fitness, etc. A la fin, ces personnes-là vont les manger, elles croquent leur vie sur le web et leur succès à pleines dents. Cependant, elles remarquent ensuite des vers à l’intérieur, métaphore de la pourriture sur Internet. Ces personnes meurent ensuite, à cause des oranges. SEB aussi en mangera une, et si on ne le voit pas, il finit probablement comme les autres, car même s’il est différent sur beaucoup de points, il reste une personnalité d’Internet, quoi qu’il fasse, coincé dans sa taedium vitae.

SEB n’est pas que rappeur, il a aussi réalisé le documentaire Seb en Papouasie.

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