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Vilebrequin : comment avoir du succès sur YouTube quand on parle d’automobile ?

Vilebrequin est sans conteste la première chaîne YouTube francophone en matière d’automobile, notamment grâce à un positionnement original, alliant divertissement, humour et authenticité. Quelques éléments de réponses sur le succès de Vilebrequin sur YouTube.

Ce texte est une dissertation préparée dans le cadre du partiel du cours Médias et culture populaire de Wald Lasowski el troisième année de licence Médias, culture et communication à l’Université Catholique de Lille.

Qu’est-ce qu’un média populaire ?

Dans son essai La télévision et les patterns de la culture de masse, Theodor Adorno, intellectuel allemand, l’un des principaux représentants de l’Ecole de Francfort et précurseur de la notion d »‘industrie culturelle », fait une critique de la télévision en listant ses effets néfastes et ses mécanismes dans le but d’améliorer ce média. Il rappelle que la « culture populaire » est apparue en même temps que la création d’une classe moyenne dans nos sociétés : la production des biens culturels est désormais commerciale. Ces biens culturels touchent aujourd’hui toutes les classes de la population ; plus de personnes sont cultivées et donc plus exigeantes concernant leur consommation. Il rappelle également que pour s’étendre, les mass media doivent avoir un public le plus large possible. Ce qui voudrait dire que s’enfermer dans une niche serait contre-productif, les créateurs d’un média se retrouveraient tôt ou tard en dessous d’un plafond de verre. C’est peut-être ce que la chaîne YouTube Vilebrequin, consacrée à l’automobile, a choisi d’éviter ; grâce à un positionnement original, mélangeant l’automobile et le divertissement, voire l’humour le tout dans l’optique de créer une communauté autour des vidéos.

Problématique.

Dans un premier temps, nous verrons ce qu’est la chaîne YouTube Vilebrequin et son positionnement. Dans un second temps, nous verrons en quoi les vidéos produites par le duo sont populaires, les raisons de leur succès. Enfin, nous verrons en quoi ce média a su trouver son style et une manière de communiquer qui soit populaire et directe.

Vilebrequin : c’est quoi cette chaîne YouTube sur l’automobile ?

Vilebrequin est une chaîne YouTube francophone consacrée à l’automobile, créée en janvier 2017 par deux vidéastes français : Sylvain Levy et Pierre Chabrier. Comme nous le verrons par la suite, le contenu proposé se démarque des autres vidéos automobiles de la plate-forme grâce à un ton décalé et de l’humour, jusque dans les partenariats commerciaux. A l’heure actuelle, les quelques 180 vidéos ont réuni près de 250 millions de vues et plus de 1,5 million d’internautes se sont abonnés à la chaîne YouTube.

Le nom de Vilebrequin fait référence au vilebrequin, une pièce automobile mécanique qui permet de transformer le « mouvement rectiligne du piston en un mouvement de rotation continu » ; un élément essentiel pour faire fonctionner un moteur de voiture.

Leur marque de fabrique est de rendre l’automobile accessible et intéressante à tous, pas seulement qu’aux passionnés du domaine. La chaîne YouTube « mise sur l’authenticité et l’originalité ». Ils sont d’ailleurs partis d’un constat : à la télévision mais plus particulièrement sur YouTube, « le domaine de l’automobile peut paraître ennuyant pour ceux qui n’y comprennent pas grand-chose ». Les deux vidéastes en parlent parfois et reconnaissent que le milieu de l’automobile peut être « ancien », « raide », surtout à la télévision. Sylvain Levy ironise en disant qu' »ils comparent la texture des poignées de porte » ; c’est d’ailleurs pour cela que Vilebrequin n’officie pas à la télévision, même s’ils disent avoir eu des propositions, avec malheureusement un budget proposé pas assez conséquent et une demande de lisser leur contenu.

Vilebrequin souhaite donc « véhiculer la passion au plus grand nombre », y compris les femmes par exemple (ils racontent vouloir inviter une pilote de course dans leurs vidéos). Pour se démarquer des autres chaînes YouTube sur l’automobile, ils pensent qu’il faut se démarquer de ce que font les émissions de télévision. En effet selon eux, il y a quelques années la niche automobile n’était pas très développée sur YouTube (sur les contenus natifs) : ceux qui se sont lancés se sont calés sur des modèles télévisuels. Si Vilebrequin se démarque sur plusieurs aspects, on retrouve tout de même des codes de l’émission Top Gear, dans sa version britannique. Par ailleurs, les deux vidéastes disent avoir des petites tensions avec d’autres chaînes YouTube automobiles : ces dernières accusent Vilebrequin de faire des vidéos insolites sur un ton humoristique pour avoir plus de vues, plus de clics.

Le caractère de Vilebrequin est assez particulier et inédit dans cette niche automobile. Pour eux, « suivre des contenus sur l’automobile ne peut être qu’une partie de plaisir. En effet, les contenus qui sont proposés sur la chaîne ont un caractère humoristique et divertissant ». Les scènes sont régulièrement entrecoupées de blagues absurdes, potaches, parfois « pipi-caca », parfois en rapport avec le sexe. D’ailleurs, le duo a instauré des running gags grâce à la post-production : lorsqu’une situation est gênante ou montrée comme telle, un générique de la série animée Yu-Gi-Oh! apparaît à l’écran. Aussi, lorsqu’une blague en rapport avec le sexe est dite, on entend l’audio du générique d’introduction des vidéos postées sur le site d’hébergement de vidéos pornographiques Pornhub.

Ces running gags deviennent alors des private jokes, « blagues privées » en français. L’intérêt de ces blagues qui reviennent est de créer des codes, et ces codes-là vont permettre la création d’une communauté autour de Vilebrequin.

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Les vidéos : du simple essai au Multipla de 1000 chevaux

Si toutes les vidéos sont consacrées à l’automobile, elles adoptent des formats différents et les contenus ne sont pas les mêmes.

Tout d’abord il y a les épisodes de Vultech : une émission dont le nom est la contraction de « vulgarisation » et de « technique » qui a pour but d’expliquer le fonctionnement d’une voiture et de ses pièces, les différentes notions inhérentes à l’automobile : couple, puissance, etc. Également, Vilebrequin cherche à expliquer les « tendances actuelles sur le marché auto », les « conseils pour bien entretenir son véhicule ou encore des conseils d’achats dans une tranche de prix donnée » ; certains épisodes « sont dédiés à certaines voitures légendaires […] et compétitions automobiles ». Des épisodes entrecoupés de nombreuses blagues, avec des véritables histoires racontées, narrées, mises en situation par les deux protagonistes, aidés parfois de la post-production pour illustrer leur propos.

Ensuite, viennent les essais, formalisés par l’émission The Petit Tour, dont le titre fait référence à la série The Grand Tour, produite et diffusée sur Prime Video. Cette série est présentée par Jeremy Clarckson, Richard Hammond et James May, les trois ex-présentateurs de l’émission Top Gear (version britannique originelle) ; dans les épisodes, les trois hommes découvrent des véhicules, font piloter des stars et discutent des actualités automobiles. Le programme étant « très, très, très coûteux » selon les mots de Jeff Bezos en personne, le nom de The Petit Tour de Vilebrequin fait référence aux « petits » moyens qu’ils mettent pour réaliser leurs vidéos. Dans ces vidéos donc, les deux vidéastes découvrent, conduisent voire pilotent des voitures qui sont soit prêtées par des abonnés, par des garages, plus rarement par des constructeurs. Les modèles présentés peuvent avoir eu du succès ou au contraire être des échecs commerciaux, ils peuvent être très rares ou très communs, conseillés à l’achat ou non. Il leur arrive même de présenter leurs véhicules personnels, qu’ils ont pu changer régulièrement pour diverses raisons. Le fait de présenter des véhicules que l’on voit au quotidien serait qualifié de « peudo-réaliste » aux yeux d’Adorno dans son essai, à savoir le fait de montrer des objets du quotidien comme palpitants : cela permet au public de s’identifier aux personnages que son les deux présentateurs et aux voitures qu’on voit.

Un autre type de vidéos est produit par Vilebrequin : les guides d’achat. Dans ces vidéos, le duo propose des guides d’achat de voitures pour un budget donné en parlant des bonnes affaires à faire, le plus souvent sur le marché de l’occasion. Cela peut être pour avoir sa première voiture quand on est jeune conducteur, lorsqu’on souhaite acquérir une petite sportive, une grosse berline, etc. Cela permet de s’adresser à chacun, peu importe sa situation économique ou sociale : qu’on soit un jeune conducteur cherchant sa première voiture ou un passionné d’automobile voulant acquérir une belle voiture, chacun peut se retrouver dans ces vidéos guide d’achat.

Des vidéos plus variées font de temps en temps leur apparition sur la chaîne, parfois appelées « Ça fait quoi ? » ou alors rangées dans une playlist « Destruction ». Ces vidéos sont surtout des défis et des expériences avec des voitures (ou des véhicules autres) en ne les utilisant pas comme il le faudrait. Des défis/expériences le plus souvent proposés par les téléspectateurs dans les commentaires des précédentes vidéos : ces expériences permettent de répondre à leurs questions.

Voici quelques exemples :

  • Prendre un dos d’âne à 130 km
  • Traverser l’autoroute à pieds
  • Rouler sans huile moteur
  • Passer la première ou la marche arrière à 130 km/h
  • Prendre un rond point à 160 km/h

Enfin, on trouve des vidéos en rapport avec le projet « central » de Vilebrequin : le 1000tipla. A l’origine, Vilebrequin avait acheté et fait la présentation du Fiat Multipla, reconnu dans le monde entier pour son esthétique douteuse. Après ça, les vidéastes l’ont modifié en y faisant du « tuning » sans argent, le renommant « MultiplAMG », en référence au préparateur AMG. Après cela, ils se sont lancé le défi de transformer le Multipla en véritable voiture de course avec une puissance minimale de 1 000 chevaux (d’où le nom du projet). Pour y arriver, Vilebrequin a mis en place une cagnotte sur le site de financement participatif KissKissBankBank en septembre 2020 avec l’objectif initial d’atteindre 50 000€. En près de 24 heures, la cagnotte avait déjà atteint près de 300 000€. Après une quarantaine de jour de campagne, la somme de près de 1 100 000€ a été atteinte. Une série de vidéos est donc en cours de production et de diffusion pour parler de toutes les modifications de la voiture : comment transformer un véhicule familial « mythique » (pour les mauvaises raisons) en voiture de course surpuissante.

Comment Vilebrequin a réussi à trouver son style, sa manière de communiquer qui ait tous les aspects d’une communication populaire et directe

Ce qui fait la particularité de Vilebrequin, surtout dans le monde automobile sur YouTube, c’est que la chaîne est tournée vers sa communauté plutôt que vers son audience. Quand une audience consomme le contenu qui lui est proposé, la communauté en plus de ça peut être nommée (ici ils sont appelés les « loulous »), peut participer sous diverses formes (proposer des défis à relever) et est attachée à la marque (financement participatif du 1000tipla avec contreparties sous formes de produits avec la marque Vilebrequin, pratiques de merchandising). L’une des raisons du succès de Vilebrequin sur YouTube, c’est cette authenticité auprès des internautes. Ils n’hésitent pas à partager leurs erreurs, se mettent dans des situations pas forcément avantageuses, etc. Durant les essais, leur opinion sur les voitures est franche, peu importe que le sponsor ou le constructeur apprécie ou non. D’ailleurs, le choix des voitures présentées compte dans cette authenticité : en parlant de voitures pas très chères, accessibles et pas forcément attirantes au premier abord, rendre intéressante la vidéo est un défi. Grâce à ça, la communauté peut s’identifier justement à ces voitures. En fait, Vilebrequin centre sa production sur l’expérience de visionnage dans tous les sens : tout d’abord, toutes les vidéos sortent le même jour à la même heure : le jeudi à 18h15, cela permet de créer un rendez-vous avec la communauté. Ensuite, un aspect est souvent délaissé sur YouTube concernant cette expérience de visionnage : les passages publicitaires en début de vidéo. Quand beaucoup de vidéastes de la plate-forme font des présentations « sérieuses » et respectent des conditions strictes données par les marques, Vilebrequin se permet d’aller à l’extrême. En fait, « leur particularité est de déjouer allègrement les codes du placement de produit », ils « sautent les deux pieds dans le plat et le pipi-caca » : les séquences de promotion d’un produit ou d’un service sont extrêmement travaillées par rapport à la concurrence, avec beaucoup de blagues, d’absurde. Leur but est surtout d’aboir un concept intéressant pour présenter la marque : faux épisode de C’est pas Sorcier, faux jeu télévisé, etc. D’ailleurs, Sylvain Levy et Pierre Chabrier annoncent clairement avoir une stratégie éditoriale sur le long terme, en préférant investir le plus dans les vidéos et en étant honnêtes sur leur modèle économique. Ils disent ne pas s’être payés depuis l’été 2021 et s’être lancés avec leurs économies, leur chômage en travaillant dur. Ils parlent aussi des coûts de production, notamment pour louer une voiture à présenter ou un circuit sur lequel rouler. Ils se mettent alors à égalité avec leur public et mettre en place une « illusion de sincérité », concept détaillé par Bourdieu dans La Distinction.

Pour peu qu’on apprécie l’humour de Vilebrequin, même si l’on ne s’y connaît pas en automobile ou qu’on n’a pas d’attrait particulier pour le domaine, on peut vraiment apprécier les vidéos. En tant que média populaire, Vilebrequin a trouvé un registre qui correspond aux intérêts et aux attentes de son public. Grâce à des défis ou des expériences insolites, la chaîne YouTube a su faire parler d’elle notamment en ayant l’aide de l’algorithme de YouTube : les vidéos étant très appréciées et poussées par la communauté, la plate-forme met régulièrement en avant les vidéos ; d’ailleurs ces dernières font toutes entre un million et plusieurs millions de vues à chaque nouvelle publication.

Vilebrequin ne cherche pas une audience en particulier mais s’adresse au plus grand nombre : c’est ce qui fait de cette chaîne YouTube un média populaire. Elle sait donc s’adapter à son public, peu importe le capital culture de ce dernier, au sens décrit par Bourdieu. Parce que le contenu se veut divertissant, il ne doit pas être trop élitiste et ne pas requérir beaucoup de connaissances en automobile.

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Vilebrequin c’est fini.

Petite mise à jour de l’article deux ans plus tard. C’est avec tristesse que nous apprenons la fin du duo mythique. Titre putaclic ou vérité ? Malheureusement c’est bel et bien vrai, pour Vilebrequin la chaîne Youtube après plus de six années de bons et loyaux services et ça ne laisse pas indifférent les presques 2,5 millions d’abonnés. Il en va de même pour le compte Instagram vbrequin ainsi que leur Twitter et Facebook.

Rassurez-vous, ça n’est pas la dernière fois que nous verrons cette paire mythique puisqu’ils ont rejoint la chaîne RMC Découverte depuis quelques mois déjà pour tourner Top Gear France 2024. Comme l’année l’indique, ça sera diffusé en début d’année prochaine, en 2024 sur RMC et Amazon Prime.

À long terme, leur collaboration n’a rien de sûr mais ils semblent en très bon terme et n’écartent pas de futur projets ensemble. Sylvain va continuer le contenu automobile car c’est sa passion et un peu de jeux vidéo. Pierre quant à lui souhaite développer le contenu Twitch y compris les jeux vidéo et a, quelques jours après la sortie de la vidéo, lancé un live sur PereChabrier intitulé : « Première office de Père Chabrier ». Ses live Twitch auront lieu tous les jeudis à 20h15 et tous les dimanches à 18h00. Il y aura des jeux de simulations avec tournois, events, courses, etc. Du gaming horreur et rétro gaming, des réactions, bref un contenu très large.

Conclusion

Grâce à l’utilisation de l’humour, de l’authenticité, Vilebrequin sait produire des vidéos qui font de cette chaîne YouTube un média populaire, même s’il est centré sur un sujet « de niche » qu’est l’automobile. En trouvant des concepts auxquels leurs abonnés puissent s’identifier et se mobiliser, Vilebrequin a réussi à surclasser ses concurrents sur la plate-forme de vidéos en ligne au niveau des chiffres d’audience en élargissant cette dernière et en prenant en compte ses questions et ses opinions dans la réalisation des vidéos.

Vilebrequin se détache aussi dans l’univers de YouTube pour ses placements de produit, avec des scénettes très travaillées et très dynamiques pour ne pas perdre le public et rendre la marque présentée intéressante, sans qu’elle soit liée au concept de la vidéo. Un positionnement là aussi original et peu vu sur YouTube sur lequel il serait intéressant de réfléchir.

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Dis Siri, Y’a quoi après Vilebrequin ?

Mise à jour le 11 janvier 2024.

Suite à l’arrêt de la mythique chaîne Youtube comme nous l’avons précédemment évoqué, Pierre Chabrier a publié une vidéo sur sa propre chaîne intitulée : Dis Siri, Y’a quoi après Vilebrequin ?

On le voit dans son bureau terminer un live, qu’il tient régulièrement, pour se diriger dans son garage et démarre son Range Rover. Plusieurs fois dans cette vidéo, Pierre fait référence à la monétisation via un comique de répétition. La vidéo est particulièrement bien produite avec un style James Bond ce qui n’est pas étonnant car Pierre vient du monde du cinéma.

Cette courte vidéo d’un peu plus de 3 minutes tease un gros projet ainsi que les lives du jeudi à 20h30. Durant cette vidéo, Pierre Chabrier récupère plusieurs personnes dont un chef de projet, une banquière et un monteur vidéo.

Le gros projet « ne sera pas sur Internet », voici un indice.

Sitographie

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