Sur Prime Video est sortie la série documentaire #LoveArmy : Où es-tu Jérôme ? de Charles Villa (Brut/BrutX) à propos de Jérôme Jarre. L’idée : retracer son parcours, mais aussi celui de sa LoveArmy, venue en aide financièrement aux Rohingyas. Mais où est passé Jérôme, et l’argent qu’il avait réussi à récolter ?
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Le synopsis de #LoveArmy : Où es-tu Jérôme ?
« Il est le point commun entre les plus grandes stars américaines et les plus gros influenceurs français. Mister V, Natoo et Seb La Frite racontent comment Jérôme Jarre a joué un rôle clé dans leurs carrières et dans leurs vies. Influenceur, manager, grand frère, Jérôme est au centre du « game » grâce à Vine, une application oubliée aujourd’hui qui est l’ancêtre de TikTok. »
Amazon Prime Video
L’humanitaire ne se joue pas que sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux et plus généralement Internet et toutes ses communautés en ligne jouent un rôle prépondérant pour les organisations humanitaires depuis longtemps. La francophonie en est un des plus grands exemples, avec des événements qui dépassent en chiffres (audiences, dons) ceux qui sont anglophones ou hispanophones. En témoignent les différents Z Event, SpeeDons, etc. Mais il y a quelques années, la coqueluche des médias et d’Internet, c’était la LoveArmy, créée par Jérôme Jarre. Au départ, un simple projet pour changer les idées aux Français suite aux attentats de Nice. Mais très vite, le projet d’une vie : celui d’aider les Rohingyas au Bangladesh. Plus de 4 millions de dollars ont été récoltés grâce aux internautes, mais aussi aux influenceurs qui leur ont demandé de se mobiliser.
Oui mais voilà, et c’est là que le documentaire le montre très bien : les réseaux sociaux ne font pas tout. Jérôme Jarre a sans doute eu les yeux plus gros que le ventre, sans doute avec toute la bonne volonté du monde. Il voulait aller plus vite, révolutionner l’humanitaire en aidant ces populations le plus rapidement et le plus efficacement possible. Pourtant, un réfugié passe en moyenne 17 ans sur un camp : on est loin des quelques mois demandés par la LoveArmy. Sa non-coopération avec les autres organisations lui aura coûté de l’argent et sa bonne image auprès des fans et des Rohingyas.
Comment mélanger journalisme et influence ?
Ce qui m’a dérangé dans ce documentaire, c’est sans doute la position de Charles Villa. En fait, c’est lui qui est à l’origine de la série et qui l’incarne, de A à Z. C’est lui qui interviewe Mister V, Natoo, Le Grand JD, Seb et compagnie, à savoir les influenceurs. C’est lui qui a mené l’enquête autour de l’argent récolté par la LoveArmy. Mais surtout c’est lui qui a suivi Jérôme Jarre à plusieurs reprises au Bangladesh, c’est lui qui l’a aidé à avoir une image médiatiquement (en dehors des influenceurs), via Brut. Parce que Charles Villa est à l’image, parce qu’il possède sa propre chaîne YouTube, qu’il est interviewé un peu partout et parce que c’est un visage de Brut, est-il totalement journaliste ? Ou plutôt, est-il en partie un influenceur ? Ces deux casquettes sont-elles compatibles ? Difficile pour moi d’avoir une réponse tranchée, mais ce malaise est perceptible dans #LoveArmy : Où es-tu Jérôme ?.
En fait, Charles Villa a été trompé : les vidéos publiées sur Brut contiennent certaines fausses informations, données par Jérôme Jarre. Le journaliste se rend compte au fur et à mesure de l’enquête qu’il a été floué. Mais d’un autre côté, il transparaît un certain respect vis-à-vis de Jérôme Jarre, une certaine sympathie, au moins à l’époque des reportages réalisés par ses soins. Probablement qu’à l’époque, il ne s’était pas rendu compte que Jérôme Jarre avait une posture de communicant, de relations presse, et pas d’ami ou de simple humanitaire. Ce qu’il vendait, c’était de l’humanitaire, une image publique, sa propre réputation. Ce qu’on peut toutefois reconnaître à Charles Villa, c’est son mea culpa : il s’excuse de s’être fait flouer.
Quel est le futur de l’humanitaire sur Internet ?
Pourtant, ce que donne #LoveArmy : Où es-tu Jérôme ? , c’est aussi de l’espoir pour l’humanitaire. Jérôme Jarre a montré qu’on pouvait au moins en partie révolutionner l’humanitaire. Pas dans son fonctionnement actuel, fait de rapports complexes, de temps long, de travail sur le terrain. Mais dans sa manière de collecter des dons, de haranguer les foules, de les faire se scandaliser sur des situations graves. Ce qui manque aux ONG, ce sont peut-être des visages. Ils peuvent être issus des associations mêmes, avec des « influenceurs » ONG, qui publient des vidéos sur les réseaux sociaux depuis plusieurs terrains, montrant la vie d’une organisation, à quoi servent les dons, etc. Il leur manque des parrains proactifs, des influenceurs décidant de se spécialiser pour une cause humanitaire. Ou tout simplement le pouvoir de faire venir certains d’entre eux, si possible très célèbres, pour faire en sorte qu’ils se mobilisent, comme à l’époque de la LoveArmy.
Au-delà même de ça, il y a la question des « sponsors » ou plutôt des mécènes qui est abordée et c’est très important. On y apprend les relations entre la LoveArmy et Turkish Airlines (dont le président turc Erdogan est actionnaire). La compagnie aérienne a aidé financièrement la LoveArmy, mais pas pour des actions humanitaires, non. Elle l’a aidé pour avoir de la visibilité auprès de Jérôme Jarre et de ses « amis » influenceurs. De quoi montrer de quoi pourrait être fait le futur du mécénat par les grandes entreprises. Merci d’ailleurs à #LoveArmy : Où es-tu Jérôme ? de révéler les dessous du fonctionnement des associations humanitaires et des relations entre Jérôme Jarre et le président Erdogan.
Que retenir de #LoveArmy : Où es-tu Jérôme ?
Tout d’abord, j’ai eu un problème avec le montage, qui est presque malhonnête. Cela arrive surtout aux fins d’épisodes, où il faut créer du rebond. Mais à plusieurs reprises (et parfois en cours d’épisode), on a presque l’impression que le documentaire sous-entend que Jérôme Jarre a pris l’argent et est parti, tel un voleur. Alors au final, on comprend que ce n’est pas le cas, mais tout de même, c’est vraiment dommage. Par ailleurs, on rentre dans le vif du sujet qu’assez tardivement, à partir du quatrième épisode. La mise en contexte de qui est Jérôme Jarre, comment fonctionnait Vine et comment s’est-il construit sur cet ancien réseau social est importante, mais c’est dommage de ne pas laisser davantage de place à l’affaire en question. Même chose pour les explications en toute fin de série, sur les derniers rebondissements, après que Jérôme Jarre ait appris que la série #LoveArmy : Où es-tu Jérôme ? était en cours de production. Les textes défilent à toute vitesse alors qu’ils sont importants : il aurait été appréciable d’y apporter quelques explications.
#LoveArmy : Où es-tu Jérôme ? a le mérite de montrer que derrière les influenceurs et l’humanitaire, il y a toutes les actions concrètes, le suivi à faire et que la réalité derrière n’est pas toujours une jolie histoire à raconter. 6 épisodes de un peu plus d’une demi-heure à chaque fois qui se dévorent absolument rapidement. Jérôme Jarre a donné son droit de réponse dans la série, mais aussi sur France Culture, il y dément certaines révélations de Charles Villa.