Black Mirror est de retour pour une saison 6, avec pour premier épisode Joan est horrible, ou Joan is awful en anglais. Renversant le Truman Show, l’épisode imagine la mise en série de la vie d’une personne, au sein de la même réalité. Encore une fois, la série tape dans la nature humaine, sous couvert de dérapage technologique.
À lire également : Bandersnatch : l’épisode interactif de Black Mirror, déstabilisant
Synopsis de Joan est horrible
« Une femme ordinaire découvre qu’un site de streaming mondial a adapté son quotidien, ainsi que ses secrets, en un drame télévisé interprété par la star Salma Hayek. »
Netflix
Comment les séries nous manipulent
Tout d’abord, Joan est horrible traite de séries, de cinéma. L’épisode amplifie les défauts de Joan, la rend odieuse, awful. De quoi montrer comment le cinéma peut nous manipuler, raconter une histoire différente en changeant les dialogues et/ou la mise en scène. C’est ce qui fait d’ailleurs la puissance de cet art, sa différence principale avec la littérature notamment. L’exemple le plus représentatif de cette manipulation, c’est sans doute Rashomon.
Black Mirror traite dans ce premier épisode davantage de télévision que de technologie, en tout cas dans la première partie de l’épisode. C’est un peu une spécialité de la série, avec de nombreux épisodes basés sur une émission de télévision fictive, comme Le Show de Waldo ou encore Quinze Millions de mérites.
Joan est horrible est une gigantesque mise en abyme, une représentation du public
L’épisode construit petit à petit une gigantesque mise en abyme, un récit méta-narratif, jusqu’à créer des mondes parallèles. Au travers de la série Joan is awful, on voit la mise en place d’une forme de télé-réalité imposée à Joan, de laquelle elle est consciente. Avec cela, Black Mirror rappelle indéniablement The Truman Show, mais aussi The Circle, en reversant le propos. En fait, Joan n’a pas de moyen de sortir de ce show.
C’est un épisode de Black Mirror sur Black Mirror, qui nous projette dans un des épisodes. En fait, il montre les conséquences qui peuvent survenir si on ne suit pas ses mises en garde. La série le fait au travers des nouvelles technologies, ou plutôt des travers de ces dernières et de celles de l’industrie numérique. En clair : on confie trop de choses aux entreprises qui en font partie.
Lisez les CGU (de Netflix) et faites attention à vos données : le rappel de Black Mirror
Ce qui piège Joan, ce sont les conditions générales d’utilisation qu’elle a acceptées lorsqu’elle s’est inscrite sur Strawberry, parodie de Netflix. Joan est horrible fait un rappel sur le fait qu’on lègue trop d’informations personnelles lorsqu’on s’inscrit sur tel ou tel site. Certains réseaux sociaux peuvent s’accaparer des droits d’auteur des photos que vous postez par exemple.
Dommage que la série fasse monter le complotisme autour des smartphones qui nous regardent et nous écoutent, en prenant l’exemple typique de la publicité qui parle d’un produit dont vous avez parlé juste avant.
Toutes ces données que Joan confie permettent de créer les épisodes. C’est l’intelligence artificielle générative et la puissance de calcul derrière qui permettent à ce faux-Netflix de produire un épisode chaque jour. Elle possède tellement de photos et d’enregistrements de Joan qu’elle en devient très productive.
Joan est horrible (Joan is awful) est-il un épisode pertinent sur la nature humaine ?
Black Mirror parle souvent plus de nature humaine que de nouvelles technologies. Ici, la série traite de la place des souvenirs. Par les épisodes d’elle-même que regarde Joan, elle revit en quelque sorte sa journée en accéléré. Plus pragmatiquement, elle revoit ses souvenirs. Mais comme un épisode d’une série télévisée, un souvenir est une représentation de la réalité. Il n’est en aucun cas une présentation, puisqu’il est soumis à un traitement cognitif (un scénariste ou notre cerveau).
Autre élément important de l’épisode : ce qui fait de chacun un être unique. En fait, selon Netflix (ou plutôt sa parodie), Joan est une personne lambda : c’est même pour cela qu’elle a été sélectionnée pour tester cette nouvelle technologie de génération de série. Tout le monde se ressemble beaucoup et la part de différence de chacun est très petite : pour Joan, ce sont ses mèches blanches par exemple.
Enfin, Joan est horrible veut montrer ce que l’être humain aime le plus : le drama et plus généralement les émotions négatives. L’épisode se moque même de Netflix, qui va privilégier des contenus dramatiques, renvoyant des ondes négatives. Mais si la plateforme de SVoD le fait, c’est bien parce que c’est ce que veulent ses abonnés. On ne peut s’empêcher de regarder le dernier documentaire sur un tueur en série ou la dernière télé-réalité avec un concept qui pousse les candidats au clash.
Simulations imbriquées : vivons-nous réellement ?
Dernier élément : la thématique des simulations. On se rend compte que Joan vit dans une simulation, qu’elle n’est pas la source, la première Joan. Elle est en fait la deuxième. Cela reprend une théorie bien connue : plus nous créons une simulation de la vie humaine, plus les chances que nous soyons simulés sont décuplées.
Logiquement, si on tue sa propre simulation, son élément moteur, cela revient à se tuer. Mais si la simulation qui nous précède décide de supprimer la simulation qu’elle a créée, elle nous tue par la même occasion. De quoi montrer le faible pouvoir dont on dispose sur notre réalité. Pour autant, on peut toujours essayer d’être le personnage principal de sa vie, son premier rôle, au moins tendre vers cela : telle est la morale de l’épisode. La solution pour sortir de cette « matrice », c’est peut-être de jouer avec elle.
Joan est horrible/Joan is awful : le retour de Black Mirror en grande pompe ?
Dans son imbrication de séries et au travers les personnages, Joan is awful/Joan est horrible brise indéniablement le quatrième mur. Tout cela saupoudré d’une dose de sarcasme, qui, si elle est bienvenue, aurait pu être plus appuyée. D’autant plus que ce qui m’a manqué dans cet épisode, c’est ce sentiment de malaise propre à la série. Moins que l’horreur, mais plus que le drame, ce mal-être qu’on peut ressentir devant un épisode de la série, cette envie de couper l’épisode, m’a trop manqué.
Un épisode qui a tout de même le mérite de traiter de plein de sujets différents, d’offrir plusieurs grilles d’analyse, dans un laps de temps assez restreint. Joan is awful marquera sans doute l’esprit de bien de ses téléspectateurs.