Site icon Rotek

En quoi le web brouille-t-il les frontières des sphères privées et publiques ?

web

Découvrez une dissertation écrite dans le cadre du cours « Introduction à la culture numérique » en L2 Information Communication à l’Université Rennes 2 par Olivier Sarrouy : « En quoi le web brouille-t-il les frontières des sphères privées et publiques ? ».

Web : partage sur les réseaux sociaux, protection des données

La chanteuse Angèle disait : « Bouger leur culs le temps d’un verre Photo sur Insta’, c’est obligé Sinon, au fond, à quoi ça sert ? Si c’est même pas pour leur montrer ». À chaque fois que l’on fait quelque chose d’« intéressant », on se sentirait obligé de l’afficher sur nos réseaux sociaux, comme pour montrer que nous sommes régulièrement occupés et que notre vie est passionnante, plus que les autres. C’est une forme de mise en scène de soi que l’on connaît bien sur les réseaux sociaux, mais rend-elle la frontière plus floue entre vie publique et vie privée ?

La série télévisée Stalk raconte l’histoire d’un étudiant dont une vidéo humiliante fait le tour de son campus. Pour se venger, il décide de stalker les ordinateurs et téléphones de ceux qui l’ont bizuté. En codant des programmes permettant d’accéder aux webcams, aux microphones, au contenu des appareils et aux messageries, il peut en apprendre beaucoup. Si un étudiant arrive à faire ça, on peut se demander ce que cela peut donner à échelle mondiale, sur des services utilisés par tous. En fait, les services que nous utilisons sont des programmes et aucun programme informatique n’est inviolable, il aura indéniablement des failles de sécurité pouvant être exploitées. Même si l’on ne pirate pas notre webcam, notre historique Internet en dis long sur nous, y avoir accès, c’est connaître une partie de notre vie privée. La collecte des données est-elle un des facteurs réduisant la frontière entre vie publique et vie privée ?

Vie publique, vie privée

La vie publique est tous les éléments de la vie privée d’une personne qu’elle a consenti à dévoiler au public. Cela peut inclus la vie professionnelle, citoyenne parfois, ce sont des informations qui peuvent être accessibles à tous. La vie privée, c’est tout le reste, notamment la vie personnelle de l’individu (amicale, amoureuse, la pensée, etc.), qu’il ne souhaite pas forcément dévoiler à tout le monde ; elle est très importante car elle est inscrite dans la loi.

L’échange d’informations sur le web

Internet est avant tout une histoire d’échange d’informations. Auparavant une technologie militaire sous le nom d’Arpanet, cette « invention » est rapidement arrivée dans les mains d’étudiant californiens qui en ont d’abord fait un outil d’échange d’informations (pensées, avis politiques, propositions, débats, etc.) entre eux, dont beaucoup étaient adeptes de la contre-culture hippie dans les années 80. Ce sont ces communautés là qui seront les premières à utiliser la micro-informatique de manière personnelle. Aujourd’hui, nous échangeons tous des informations entre nous grâce à ce canal incluant de multiples canaux (forums, jeux en ligne, emails, réseaux sociaux, etc.) ; les échanges se sont multipliés. C’est peut-être de là que part ce brouillage entre vie privée et vie publique : des informations bien plus nombreuses.

À échanger plus d’informations, on livre forcément plus d’informations sur notre vie privée. Sur un forum, on peut conseiller d’autres personnes sur telle ou telle expérience qu’elles sont en train de vivre parce qu’on les a déjà vécues. Sur des forums toujours, on peut parler de nos problèmes de façon anonyme, mais si quelqu’un de notre entourage connaît notre profil sur ce forum, est-ce vraiment anonyme ? Le paroxysme de l’échange d’information, relevant de notre vie privée notamment, ce sont les réseaux sociaux. On y utilise pour la plupart notre identité (prénom et nom), on y met une photo de profil et on y renseigne plusieurs informations : ville d’origine, date de naissance, goûts, etc. On y poste des photos, des vidéos, du texte, bref : du contenu. Lui aussi peut en dire beaucoup sur notre vie privée ; encore plus lorsqu’aucune restriction d’accès n’est mise en place sur notre compte. Ainsi, n’importe qui qui connaît notre prénom et notre nom peut accéder à ces informations en cherchant. Cette vie privée dont on pensait pouvoir en partager quelques fragments à quelques personnes ne l’est plus vraiment ; elle devient alors publique.

Mais justement, cette vie privée devenue publique entraîne une sorte de mise en scène de soi ; on veut soigner son image pour que le monde entier pense que nous sommes une bonne personne. En changeant cette image publique, on la différencie de l’image réelle que nous avons, autant publique que privée. Dans sa chanson Réalité augmentée, le rappeur Nekfeu disait « Chirurgie virtuelle, aucune photo sans modification ». On ne laisse pas passer ce qui n’est pas « parfait » et encore moins ce qui est compromettant. À changer comment on affiche sa vie privée, on la cache en quelque sorte, ce qui fait que ce que l’on poste sur les réseaux sociaux et sur le web n’en est plus vraiment représentatif. Tout le monde ne fait pas ça, et ce changement n’est pas total, mais il reste présent.

Des données en ligne qui nous échappent

Snowden est un film biographique qui parle des révélations d’Edward Snowden sur la cyber-surveillance de la NSA. Durant ce film, on voit grâce à Snowden que la NSA a accès à des informations, beaucoup d’informations sur à peu près n’importe qui dans le monde. Webcam, microphone, conversations privées en ligne, historique Internet, tout y passe. Si la cyber-surveillance dans le cadre bureaucratique en arrive là, celle faite dans un cadre criminel en est sûrement au même point. Cela touche tout le monde, y compris ceux qui surveillent ; dans ce film toujours, Snowden se retrouve lui aussi surveillé. Ce n’est évidemment pas sans rappeler la surveillance de masse mise en place en RDA durant la Guerre froide, notamment grâce à la Stasi.

Cette surveillance est faite intentionnellement, mais la collecte d’information est réalisée sur Google, Facebook, etc. Sur tous les sites sur lesquels nous nous connectons, des informations sont récoltées ; même sur les sites auxquels nous ne sommes pas inscrits via les cookies notamment. Ces informations là renseignent sur notre manière de naviguer sur Internet ; où est-ce que nous allons, qu’est-ce que nous faisons, quand, où, etc. Pour avoir une petite idée de l’ampleur que cela prend, la solution la plus simple est de télécharger une copie de l’archive des données récoltées par Google par exemple. On y voit notre historique Google, avec toutes nos recherches, notre historique, nos mails, nos déplacements ; une archive de plusieurs gigaoctets avec ce que nous pensions avoir effacé ou noyé. Cette archive, si elle est mise entre des mains autres que les nôtres, elle brouillerait encore plus la frontière entre vie publique et vie privée sur le web. Si les entreprises déclarent que nous n’avons pas de soucis à nous faire pour la protection de nos données, il n’est pas rare d’entendre dans les médias que tel ou tel site s’est fait pirater sa base de données. Même si la totalité de nos informations ne sont pas volées, il suffit de nos identifiants pour y avoir accès. Ces données relèvent de notre vie privée, et le simple fait qu’elles soient stockées quelque part les rend en partie publiques ; elles sont hors de notre contrôle, hors de portée. On peut tout de même demander à les supprimer, mais on n’aura jamais la garantie que cela a vraiment été fait.

Une frontière entre vie privée et vie publique qui se brouille

Cette frontière dont nous parlons, elle se brouille effectivement de plus en plus. Le maître-mot de ce phénomène, c’est l’information. On poste bien des choses sur le web, on y partage nos expériences, nos pensées, sans que l’on conscientise que cela est affiché publiquement, plus ou moins pour l’éternité. Collectée par les services que nous utilisons et alimentée par ce que nous postons, l’information se fait plus nombreuse, plus complète et on en perd le contrôle. Même en faisant attention et en utilisant divers outils pour ne pas conserver notre activité, échapper à la collecte des données est très complexe. Un des seuls moyens qui apparaît pour garder l’entièreté de sa vie privée en dehors d’Internet, c’est de quitter le web. En changeant cette image que l’on renvoie, c’est peut-être en partie pour cacher ses faiblesses, la normalité de sa vie privée, en la modifiant on peut cacher cette vie privée. On pourrait alors se poser cette question : si l’on se met en scène sur les réseaux sociaux, ne serait-ce pas justement pour protéger sa vie privée, tout en l’affichant ?

Quitter la version mobile