Fiche de lecture et résumé détaillé du chapitre 13 du Manuel d’analyse de la presse magazine de Claire Blandin (2018), rédigé par Björn-Olav Dozo et Boris Krywicki intitulé La presse vidéoludique : comment faire tourner la machine. Dans le même ouvrage, il y a aussi les chapitres Propriétés et fonction de la presse magazine ainsi que Le discours de la presse magazine que nous vous conseillons de consulter.
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Référence de La presse vidéoludique : comment faire tourner la machine
DOZO Björn-Olav, KRYWICKI Boris, « Chapitre 13. La presse vidéoludique : comment faire tourner la machine », dans : Claire Blandin éd., Manuel d’analyse de la presse magazine. Paris, Armand Colin, « I.COM », 2018, p. 213-227. DOI : 10.3917/arco.bland.2018.01.0213. URL : https://www.cairn.info/manuel-d-analyse-de-la-presse-magazine–9782200619930-page-213.htm
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Un secteur chargé d’enjeux
Dozo et Krywicki font un rappel historique de la presse vidéoludique en France : “sur toute son histoire, on atteint plus de cent titres, parfois diffusés à plus de cent mille exemplaires par numéro.” Des magazines parfois très spécialisés, en fonction d’une marque de console, de genre de jeux, “ou de la critique culturelle ou artistique à vocation sérieuse” : les stratégies étaient multiples et sont très représentatives de la presse magazine. Selon les chercheurs, “elles peuvent ainsi servir de corpus-laboratoires, offrant suffisamment d’homogénéité, de profondeur et de durée pour permettre de formuler différentes hypothèse quant au fonctionnement rédactionnel, aux modèles économiques, aux circuits de diffusion et au lectorat de cette presse spécialisée thématique.”
Plus que n’importe quel autre domaine de presse magazine, la presse vidéoludique a été bouleversée par l’arrivée d’Internet, “prédisposé, vu ses centres d’intérêt, à une adoption rapide de ce nouveau médium”. Cela a entraîné jusqu’au début des années 2000 à “une concentration éditoriale extrême” et à “un profond renouvellement des équipes rédactionnelles, pour des raisons économiques mais aussi idéologiques, certaines équipes ne souhaitant pas être associées à ce qu’elles assimilent à une critique promotionnelle.”
Avec l’arrivée d’Internet, des médias se lancent en ligne. Pour Dozo et Krywicki, cela “correspond aussi à la dynamique de la course à la nouveauté à laquelle le médium jeu vidéo semble intrinsèquement lié”. Il y a dans le jeu vidéo une “temporalité de l’immédiateté”, qui correspond assez bien à Internet. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le modèle économique de la presse de jeu vidéo. Cette dernière ne peut alors plus se faire le relai de l’actualité et la valeur ajoutée des cadeaux ne suffit plus. La crise débutera au début des années 2000 et durera presque dix ans.
En plus de conséquences économiques, Internet a eu des conséquences éditoriales sur les revues. Il a engendré de nouvelles rubriques “plus inventives et interrogeant la pratique journalistique sur le jeu vidéo elle-même, dans une dimension réflexive qui n’échappe pas aux lecteurs.”
Pour une histoire de la presse de jeu vidéo
Ainsi, Dozo et Krywicki délimitent 6 périodes :
- La préhistoire (1973-1982)
- Les pionniers (1982-1990)
- L’âge d’or (1990-1997)
- La professionnalisation (1997-2003)
- La concentration éditoriale (2003-2012)
- La diversification (2012-2017)
Le premier magazine, nommé Tilt, apparaît en 1982. Il offre déjà une structure stable qu’on trouve encore beaucoup aujourd’hui, articulée autour des news, previews et des tests. D’autres magazines se sont mis à distribuer des CD-ROM dans les magazines avec des vidéos produites par les journalistes. Bien avant le web, les magazines arrivent à développer des communautés, avec des journalistes suivis dans leur changement de rédaction. Certains magazines se spécialisent dans les consoles, ce qui fait quitter cette presse de la niche micro-informatique pour se démocratiser davantage. Cela représente d’ailleurs l’âge d’or du secteur, où “chaque titre a sa propre stratégie de distinction : par marque ou généraliste, distribuant des goodies ou non, mais toujours avec un ton spécifique et une vie rédactionnelle mise en scène dans les éditoriaux, certains tests, voire dans les trombinoscopes qui apparaissent rapidement.”
Comme les créateurs de jeux, les journalistes spécialisés “ont rempli la fonction de repères, dont l’opinion a structuré le domaine. En utilisant pour la grande majorité un pseudonyme, ils incarnent une forme spécifique d’autorité, développent des relations privilégiées avec les éditeurs d’un côté et avec des lecteurs/joueurs de l’autre côté, et jouissent d’une grande reconnaissance.” Le métier devient même un fantasme de jouer : “être payé pour jouer à des jeux vidéo”. Dozo et Krywicki précisnet que “si ces magazines consoles généralistes proposent une critique de célébration, ceux centrés sur une marque reproduisent le discours de l’industrie du jeu, sans se poser de question.” Des magazines dédiés à des consoles différentes se rapprochent tellement, au point de mettre en place une stratégie qui simule une compétition entre les magazines.
À la fin des années 90, la presse vidéoludique se professionnalise parce qu’elle prend en maturité, mais aussi parce que l’industrie du jeu vidéo devient très importante financièrement. Ce qui fait que des investisseurs se sont intéressés à cette presse. Pourtant, les plans ne se déroulent pas comme prévu à cause d’un “modèle d’entreprise fragile et la croissance de l’Internet.” Comme le rappellent les deux auteurs, “les lecteurs de magazines de technologie (y compris les jeux vidéo) sont les premiers équipés d’Internet”. C’est pour cela que des pure-players spécialisés sont nés : les magazines y sont venus, les annonceurs aussi. Ceci aux dépends des éditions papier économiquement, mais également éditorialement.
La presse imprimée s’est retrouvée face à un défi : apporter de la valeur éditoriale aux lecteurs face à des médias en ligne qui proposent aussi des actualités et des tests. Cela entraîne une concentration de cette presse pour “occuper le terrain en réduisant les coûts par des économies d’échelle.” Le tout dans un climat d’arrangements avec les éditeurs, qui existaient depuis longtemps : “si un magazine mettait une mauvaise note à un jeu, l’éditeur menaçait d’arrêter l’acquisition de pages de publicité, voire de blacklister un magazine, lui empêchant l’accès aux versions de test des jeux, disponibles avant leur sortie.” Auparavant, la presse était suffisamment puissante pour ne pas à avoir à céder à ces pressions : désormais, les grands groupes ne peuvent se passer d’un gros éditeur de jeux en tant qu’annonceur. De leur côté, des journalistes indépendants créent eux-mêmes des titres, qui durent plus ou moins longtemps.
Au final, “une gamme de pratiques journalistiques très différentes a émergé sur le web ou en format papier. Chaque magazine a sa ligne éditoriale, tentant de fidéliser un public élargi”. Ce qui est “le signe d’une maturité de la presse vidéoludique en France, en même temps qu’elle reflète la complexité des modèles économiques qu’elle doit inventer pour exister.
Modèles économiques de la presse de jeu vidéo en ligne
Les pure-players spécialisés “ont fait preuve d’inventivité pour s’assurer des revenus” selon Dozo et Krywicki.
La quête de l’audience et le publireportage
Les deux auteurs prennent l’exemple de Webedia, qui possède entre autres jeuxvideo.com (depuis renommé JV) ainsi que Millenium, spécialisé dans l’esport : deux sites numéros 1 dans leur domaine respectif. Des sites qui cherchent à séduire Google depuis leur rachat, puisque leurs audiences dépendent en grande partie des moteurs de recherche. Il y a aussi l’arrivée des publireportages aux côtés des contenus journalistiques, qui en ont l’apparence et la place sur le site. Ils sont identifiés avec une mention de “contenu sponsorisé”. Certains reprennent même “les éléments constitutifs, typographiques et rhétoriques (la note, les “plus” et les “moins”) d’un test de jeu vidéo.” On ignore les prix de ces publireportages : “ces tarifs se négocient probablement au cas par cas et certains clients réguliers, comme Sony, paient visiblement un forfait, étant donné la fréquence de parution de leurs publireportages.”
Le publireportage peut produire de l’ambiguïté sur sa nature même, mais il “permet à ses commanditaires de s’assurer que leur publicité ne sera pas filtrée par les extensions adblockers.”
Les bannières publicitaires
C’est le modèle économique le plus courant, de plus “la publicité en ligne peut tantôt se superposer aux contenus rédactionnels, tantôt les surplomber.” Pour la presse vidéoludique, la sortie d’un jeu engendre la publication de son test, mais aussi l’affichage de publicités pour faire la promotion dudit jeu sur les sites médias. Tout cela fait que “le lecteur de presse vidéoludique a donc été habitué à accéder simultanément à une analyse critique d’un jeu et au dispositif pour l’acquérir, facilité, depuis la généralisation de la digitalisation des jeux […], par le fait que la plateforme de lecture peut correspondre à celle sur laquelle se télécharge et s’exécute le jeu.”
Cependant, depuis le début des années 2010, les bannières publicitaires sont bien moins rémunératrices. Les lecteurs bloquent les publicités via des extensions de navigateur : “dans les secteur où le lectorat apparaît majoritairement technophile, comme la presse de jeu vidéo, le t’aux d’adblocker atteindrait entre 45 et 50% (chiffres Block Metrics).” C’est pourquoi les annonceurs changent de formes de publicité, ce qui force les médias à s’adapter, voire à limiter leurs revenus publicitaires.
L’abonnement mécène
L’abonnement est “un montant périodique, généralement mensuel ou annuel, dont le lecteur consent à s’acquitter en échange d’un service rendu par l’instance de publication.” Sur Internet, l’abonnement permet surtout de soutenir la rédaction, en échange de quelques services (plus de publicité, interface modifiée, etc.). L’abonnement est alors surtout symbolique. La presse vidéoludique l’expérimente depuis le début des années 2000.
L’abonnement paywall
Cet abonnement offre une contrepartie “dont la valeur monétaire estimée par la rédaction équivaut au montant dépensé par le lecteur.” Le paywall est pour rappel “un rempart qui n’octroie le droit de lecture à certains contenus qu’à condition de s’être acquitté du montant de l’abonnement au site.” Les abonnés deviennent garants du fonctionnement du média et “davantage exigeants quant à la qualité ou à la pertinence des contenus qui financent.” Ces lecteurs se distinguent des autres avec une différenciation visuelle sur les forums ou dans les commentaires des articles.
Par ailleurs, “les publications papier disposant d’un site Internet ont également la possibilité de proposer des contreparties à leurs abonnés.” Les contenus additionnels peuvent avoir plusieurs formes, l’important étant “que ce contenu soit perçu par les lecteurs comme une plus-value satisfaisante”. Les médias peuvent même s’en servir pour rendre temporairement gratuits des articles lors de certaines occasions. De quoi permettre “d’afficher le média à la fois comme généreux et concerné par ces événements, voire engagé vers une cause”.
Quelques pistes pour la recherche
- Les réseaux entre les rédactions : il y a un réseau de journalistes qui font évoluer le paysage éditorial de cette presse.
- Les techniques journalistiques en rapport avec le jeu vidéo : comment aller au-delà de la critique culturelle ?
- Analyser la dimension graphique et visuelle de ces magazines : quelles étaient leurs marques de fabrique ? Nous pourrions “repérer des récurrences, des structures, des évolutions”, ce qui éclairerait leur ligne éditoriale.
Dozo et Krywicki concluent en écrivant que “la presse vidéoludique reste un terrain de recherche largement en friche, que de nombreuses initiatives, provenant de journalistes comme des chercheurs, commencent à explorer.”